Connaissez-vous le père Labat, ce saint homme qui inventa le rhum ? Ce brave Père Dominicain mourut en 1738, après avoir été tout à tour explorateur, ethnologue, commerçant, écrivain et fut aussi malgré sa robe d’homme de dieu, Capitaine de vaisseau ! Oui, ce bon vieux père Labat traquait l’anglais et chassait les riches galions espagnols sur mer !
Ce Frère de choc, tomba un jour malade et fut sauvé de la fièvre de Malte, en buvant une infusion de tabac vert mélangée à de la « Guildive » sucrée. – Ndlr : la Guildive, terme créole, était le nom donné aux premiers alcools de canne à sucre dans les Antilles Britanniques -. Par reconnaissance, par curiosité, par gout, on ne le saura jamais, cet ecclésiastique porta son intérêt sur la fabrication de ce breuvage.
D’abord, il améliora la culture de la canne à sucre, modifia le procédé de fabrication, puis utilisa un alambic en cuivre pour la distillation. Ainsi, les rhumeries produisirent le premier rhum acceptable gustativement. Avant lui, on fabriquait un alcool de mauvaise qualité issu de la distillation de la mélasse, sous-produit du raffinage du sucre. C’était le « tafia » ; boisson pour les esclaves, les pauvres et les marins. A partir de maintenant, on allait distiller le jus de canne à sucre ou « vesou » en créole.
Le Père Labat mis d’abord au point le système des chaudières, au nombre de cinq. Chacune d’entre elles portait un nom et avait un rôle dans la fabrication du rhum.
La première se nommait la « Grande ». elle recueillait le vesou.
La seconde s’appelait la « Lessive », ou l’on ajoutait de la cendre ou de la chaux.
La troisième portait le nom de « Propre ». le jus y était nettoyé à la louche de son écume.
La quatrième intitulée « Flambeau » était portée à ébullition.
La cinquième appelée « Batterie » servait à concentrer le jus de canne pour obtenir le « sirop de batterie », lequel était distillé, et donnait un rhum de qualité discutable.
Puis le Père Labat abandonna cette méthode au profit de la distillation dans un alambic dit à « repasser » du type Cognaçais déjà connu et utilisé dans d’autres contrées depuis le 16ème siècle et toujours actuellement en service dans les Charentes pour la distillation du Cognac, mais sous une forme beaucoup plus élaborée.
Le principe d’une distillation est de séparer les constituants d’un liquide et de concentrer celui qui nous intéresse. Dans notre cas, il s’agit de l’alcool à concentrer, et de l’eau à éliminer. Cette séparation s’effectue par du chauffage, et le procédé s’appuie sur les différences de température d’ébullition de l’éthanol (alcool) 78°C et de l’eau 100°C. Les vapeurs d’alcool s’échappent en premier, et le refroidissement (condensation) de ces vapeurs permet de récupérer un liquide plus concentré qu’avant cette opération de distillation.
Lorsque l’on chauffe le jus de canne à sucre fermente (vesou) dans la chaudière, il s’évapore vers le chapiteau, passe par le col de cygne, et se condense dans le condensateur, pour s’évaporer dans le bac de récupération du distillat.
Lors du premier passage, on obtient le « clarin » en créole – NDLR : alcool titrant a 20-30° –, dont le gout n’est pas fameux à cause des impuretés (esters) encore présents dans le distillat.
La deuxième distillation permet d’éliminer ces impuretés pour obtenir un rhum blanc de qualité en ne conservant que le cœur (alcool) de la distillation, alors que la tête de celle-ci (esters : acétate d’éthyle, acétaldéhydes, composes iso amyliques) est éliminée de même que la queue (eau) de distillation.
Au sortir de l’alambic, on obtient un rhum blanc de qualité titrant entre 70 et 80°. Il faudra ensuite le « couper » avec de l’eau de pluie ou de l’eau distillée pour le ramener à un titre alcoolique compris entre 40 et 50°.
Néanmoins, le 19ème siècle a vu l’abandon de cette méthode de distillation un peu fastidieuse, et au rendement inférieur à celui obtenu avec les « colonnes de distillation a plateaux », lesquelles sont maintenant les seules utilisées pour l’élaboration de tous types de rhum.
Le principe de distillation présente ci-avant reste inchangé. Par contre la distillation est dite « continue » car il n’est pas nécessaire d’effectuer une opération particulière pour repasser le liquide à distiller dans la colonne. De par la conception de celle-ci, il passe et repasse de lui-même autant de fois que nécessaire pour extraire l’alcool au titre voulu.
Les colonnes à plateaux distillant le rhum ont été adaptées à cette distillation particulière en perçant les plateaux de trous ; colonne dite « créole ». Ceci pour récupérer les composants organiques aromatiques caractérisant l’arôme du rhum.
En pratique :
Le vesou est introduit dans la partie supérieure de la colonne venant du chauffe vin (1), et descend de plateau en plateau. En descendant, il se mélange à la vapeur introduite par la base de la colonne (2). A son contact, le vin se réchauffe, s’épuise en alcool et en arômes. La vapeur alcoolisée remonte naturellement vers le haut de la colonne, passe dans le système de condensation (4), perd ses calories en réchauffant le vesou, et se condense. Il est alors réinjecté dans la colonne pour enrichissement (5), soit extrait de la colonne si le titre alcoolique est suffisant (6).
A la base de la colonne, le liquide épuisé issu du vesou est extrait de celle-ci (3). Ce liquide est appelé « vinasse » et titre entre 2 et 4° d’alcool. En haut de la colonne, la fraction du distillat condensé réinjecté pour enrichissement s’appelle le reflux (5). Tout l’art du distillateur consiste à bien doser cette opération de réinjection du distillat dans la colonne, car ce reflux est compose de principes aromatiques qui vont caractériser le rhum obtenu, et d’autres qui vont lui être néfastes. Il faut donc bien maitriser les températures de distillation, et les quantités de reflux réinjectées dans la colonne.
Les colonnes à distiller possèdent un très bon rendement énergétique, permettant de traiter de gros tonnages de vesou en un laps de temps très court. Ce paramètre est important car le vesou peut fermenter très vite, et tourner sous le climat chaud des Antilles. Son odeur empêche alors toute distillation.
A la sortie de la colonne, on obtient un rhum blanc titrant 65 à 75° (6). Il faudra le brasser et l’aérer régulièrement pour le débarrasser d’éventuels produits aromatiques volatils dit « produit de tête de distillation », et oxyder d’autres éléments aromatiques lourds appelés « non alcools » dont le taux doit être supérieur à 280g/hectolitre de rhum. On coupera ensuite le rhum d’eau pure pour abaisser son titre entre 40 et 50°.
Voici donc les différentes étapes de la distillation pour obtenir un bon rhum blanc. Ensuite viendra la maturation du rhum…